Des associations militent pour la levée de l’interdiction. Ces plants de vigne, écartés parce que bien trop résistants, pourraient répondre à une nouvelle volonté: ne plus traiter la vigne.
En 1935, six cépages sont interdits en France pour répondre à une crise de surproduction de vin. Ces plants de vigne interdits sont des cépages hybrides très résistants et nécessitant donc peu d’entretien. En raison de ces qualités, on assiste aujourd’hui à un lent retour vers les cépages hybrides, dont les variétés interdites dans l’entre-deux-guerres ne sont que l’exemple le plus extrême de l’histoire de ces plants de vigne.
«Leur bonne résistance leur vient de leur histoire», note Christian Sunt, de l’associationFruits Oubliés, qui milite pour une reconnaissance de ces cépages. Cette histoire prend racine au XIXe siècle, période hautement tourmentée pour la production viticole. La vigne européenne est contaminée par des souches importées d’Amérique: oïdium, phylloxéra
De nouveaux cépages, dits hybrides, sont alors créés à partir de pieds américains. Les combinaisons sont multiples: hybridation entre deux souches américaines, hybridation entre souches américaine et européenne, entre américo-européenne et américaine… Les cépages interdits font partie de ces premières générations d’hybrides, créés dès la fin du XIXe siècle.
«Ils étaient connus comme étant les plus productifs et les plus mauvais aussi! Avec desgoûts foxés», explique Olivier Yobregat, ingénieur agronome-oenologue et responsable du matériel végétal à l’Institut français du Vin et de la Vigne. Le terme vient de fox, renard en anglais, laisse supposer que leur goût rappellerait celui de la pisse de renard. Si la vigne américaine est résistante, le goût des vins qu’elle produit est peu apprécié. La vigne européenne est, elle, faible mais réputée goûtue. L’hybridation entre plants européens vise à trouver un équilibre entre ces deux qualités, ces deux défauts.
Un vin de table à bas coût
Après les crises de sous-production viticole vient finalement une période de surproduction avec le développement du vignoble algérien. C’est alors vers ces cépages hybrides, résistants mais piquants, que l’on se tourne: jacquez, noah, herbemo
Ces cépages étaient alors principalement utilisés par des petits paysans qui en cultivaient des lopins sur leurs sols les plus difficiles. Ils en faisaient un vin de table à bas coût. Mais cette autosuffisance leur faisait peu participer à l’écoulement de la production nationale et algérienne.
Suivant l’adage «qui veut noyer son chien l’accuse de la rage», les politiques de l’époque accusèrent les vins issus de ces cépages de rendre fou. Cet épisode politique de la IIIeRépublique n’est pas exempt de coups bas, puisque certains cépages furent aussi interdits pour mettre en difficulté un député ou un ministre dont le fief politique comptait beaucoup de ces cépages. Le jacquez aurait ainsi été interdit pour embêter Edouard Daladier.
Le but, c’est d’utiliser moins d’intrants
Olivier Yobregat
Mais ce n’est que pendant les années 1950-60 que les cépages hybrides sont réellement rejetés. Les traitements chimiques permettent de contenir les maladies. A l’âge d’or de l’intrant, la résistance naturelle des hybrides est moins recherchée. L’interdiction des six bannis de 1935 se concrétise avec des primes à l’arrachage et des amendes. Vingt autres cépages hybrides restent autorisés, mais «on en décourage la plantation. Alors que les surfaces d’hybrides étaient considérables auparavant, ils meurent d’eux-mêmes, non renouvelés», explique Olivier Yobregat. Et «on bannit les hybrides des appellations», exception faite du baco blanc recommandé pour l’armagnac.
On assiste aujourd’hui à un retour des cépages hybrides. L’Union européenne autorise en 1999 les vins de cépages croisés, c’est-à-dire d’hybrides, qui de par leur composante américaine sont naturellement résistants à des agressions pour lesquels les viticulteurs utilisent massivement des intrants.
Les résistances d’hybrides récemment créés sont en cours d’évaluation à l’Inra, l’Institut national de la Recherche agronomique. Ces cépages seraient tolérants au mildiou et à l’oïdium. «Le but, c’est d’utiliser moins d’intrants», résume simplement l’ingénieur agronome-oenologue Olivier Yobregat. Ces nouveaux plants permettraient de diminuer le nombre de traitement:
«A la place de 10 à 12 traitements annuels contre le mildiou, il en suffira de deux ou trois.»
A l’avenir, des cépages résistants, c’est-à-dire ne nécessitant pas de traitement, pourraient être mis au point.
Des cépages toujours interdits
Or la diminution des intrants devient un argument de taille. Hervé Garnier de l’association Mémoire de la Vigne qui cultive du jacquez, un cépage interdit, en Ardèche, constate que«les mentalités des vignerons évoluent, ils se disent qu’ils pourraient avoir de la vigne sans traiter, sans problème pour la santé… La viticulture moderne va revenir vers les hybrides», prévoit-il.
Actuellement, la meilleure maîtrise de la vinification limite le problème d’acidité de ces vins, tandis que les goûts pour le vin évoluent. Pour Hervé Garnier, «il n’y a aucun doute que des vins issus de cépages interdits puissent rejoindre les vins bio sur le marché s’ils étaient autorisés».
Les six cépages interdits en 1935 le sont toujours. L’Union européenne a maintenu leur bannissement, sans fondement scientifique. Cultivateurs militants, ampélographes et agronomes s’accordent pour reconnaître que l’accusation d’insuffler la folie aux buveurs est infondée. Des petites vignes de cépages interdits ont perduré jusqu’à aujourd’hui, mais cette production reste anecdotique.
Des associations militent pour la levée de l’interdiction, que l’on doit davantage à «un immobilisme bureaucratique» qu’à une «réelle opposition à ces cépages» pour Christian Sunt de Fruits Oubliés.
Mais la levée de cette vieille interdiction ne révolutionnerait certainement pas la production viticole. Pour Olivier Yobregat, «leur autorisation n’aurait aucun impact, personne ne replanterait ça! Cela ne déboucherait pas sur une véritable baisse des intrants utilisés». Il y voit simplement un moyen «de faire plaisir à de petit programmes locaux. Au niveau patrimonial, cela peut être intéressant». En revanche, l’agronome table sur les successeurs de ces premiers hybrides. Une ou deux variétés d’hybrides de dernière génération actuellement en cours d’évaluation pourraient être autorisées d’ici 2016.