Les premiers grumiers – 5 500 T de bois d’énergie en provenance des forêts de PACA et, pour une faible part (40 tonnes), du Gard -, ont été livrés en août et septembre sur la plate-forme de Gardanne (13). Entré en phase de test, E.On, le troisième groupe mondial du secteur de l’énergie a entamé, mardi 21 octobre, ses premiers essais de broyage pour sa future mégacentrale à biomasse, « Provence IV biomasse ».
La mise en service industrielle est prévue pour le second semestre 2015. Le géant allemand, qui compte se fournir dans un rayon de 250 km autour de Gardanne, prélèvera alors 855 000 T de bois par an, dont 35% en provenance des forêts de PACA et Languedoc-Roussillon, 25% provenant du recyclage de bois, le reste étant importé des forêts d’Europe et d’Amérique du Nord. L’objectif est d’atteindre un approvisionnement 100 % local en 2025.
Alors que le débat s’enflamme dans les Cévennes, où 35 000 T de bois seraient prélevés chaque année sur le territoire de la châtaigneraie, E.On. boucle ses premiers contrats d’approvisionnement en Languedoc-Roussillon :
« Sur les cinq départements, onze contrats ont été signés dont quatre sur le Gard et la Lozère, pour un approvisionnement entre 2 000 T et 15 000 T par contrat, représentant 80 % de nos besoins en bois forestier sur cette région », détaille Pierre-Jean Moundy, responsable des relations institutionnelles biomasse chez E.On, en charge des approvisionnements.
Parmi les signataires, l’Office National des Forêts, les coopératives forestières « La forêt privée lozérienne et gardoise » (FPLG) et « Sylva Rouergue ».
« Nous nous sommes entendus sur un cadre contractuel sur 20 ans, mais avec des engagements quantitatifs et de prix sur cinq ans », reprend Pierre-Jean Moundy, qui estime à 11 M € en 2016 les bénéfices générés en région par cet approvisionnement, pour 80 emplois créés.
La châtaigneraie cévenole : 35 000 tonnes de discorde
Si la bioénergie perturbe le marché du bois (les acteurs de la filière forestière comme l’usine de papier de Tarascon (13) voient d’un très mauvais œil l’arrivée d’E.On, NDLR), encore faut-il que la forêt cévenole puisse entrer dans le jeu.
La première barrière à l’entrée pourrait être les prix pratiqués par le géant allemand : « Nous achetons à 30 € la tonne prix bord de route, c’est à dire arbre coupé, débité et mis au bord de la parcelle, prêt-à-emporter », détaille Pierre-Jean Moundy. Mais qui va aller couper les arbres sur ces zones fortement pentues ? Et comment rentabiliser les coupes, quand on possède un à deux ha de forêts ? Alors qu’un premier regroupement forestier se met en place en Pays Viganais (l’association syndicale libre, dont les statuts seront déposés en janvier prochain, NDLR) regroupant 460 propriétaires pour 500 ha de surface forestière, les doutes planent sur la capacité de cette filière à se structurer.
« On estime qu’il y a cinq millions de tonnes de châtaigniers dépérissant dans les Cévennes, assure Evelyne Nguyen, déléguée générale de l’interprofession régionale du bois Languedoc-Roussillon, Arfobois. Ce sont des massifs très abîmés sur lesquels on n’est pas rentrés depuis plus de 50 ans, qui ne peuvent trouver de débouché que sur le bois énergie. »
En Languedoc-Roussillon, où plus de 60 % des forêts sont situées dans des zones très difficiles d’accès, E.On et la bioénergie en général représenteraient une issue d’avenir, « à condition de ne pas aller puiser dans des massifs à plus forte valeur ajoutée et de travailler avec E.On sur les zones difficiles d’accès uniquement, où le bois n’est actuellement pas valorisé », prévient-elle.
Le Parc National des Cévennes veille
L’arbre de la discorde est bien la châtaigneraie cévenole, représentée par une somme de petits propriétaires disséminés (80 % possèdent moins de 10 ha) sur un massif forestier d’environ 150 000 ha.
« Comment faire de la gestion productive sur une zone où il n’y a pas de réelle tradition sylvicole ?, interroge Jacques Merlin, le directeur du Parc National des Cévennes. La filière bois, pas assez structurée, pourrait pâtir d’un développement trop brusque. »
Pour limiter les « risques de dégâts et permettre aux coupes forestières de se réaliser au bénéfice du territoire et non à son détriment », le Parc National des Cévennes a signé, le 8 janvier 2014, un protocole de travail avec E.On. Il vise à établir un cahier des charges qualitatif sur l’ère d’adhésion du Parc, « modérant les risques de dépossession de la valeur ajoutée locale (emplois, filières courtes, etc.) et de dégradation des paysages (impact visuel des coupes ou destruction des terrasses et des clèdes) en imposant notamment des règles sur l’intensité des coupes, leur taille, les formes de coupes, les techniques d’exploitations et de débardage par exemple, pour sortir les bois de ces zones enclavées sans casser les murets des bancels ».
Si tout va bien, l’accord sera signé mi-2015 et profitera à toutes les Cévennes, « dans la mesure où il sera intégré aux futurs contrats d’achats bois d’E.On. pour le territoire cévenol ».
POUR ALLER PLUS LOIN
En provenance du Languedoc-Roussillon, l’approvisionnement de l’unité biomasse de Gardanne sera constitué de bois d’élagage et d’entretien (20 000 T annuels), de bois de recyclage (palettes, ameublement, bois de démolition, 17 000 T annuels) et de bois forestier (100 000 T). En 2025, le mix énergétique de la nouvelle unité « Provence 4 Biomasse » sera alors composé de 90 % de biomasse locale (855 000 T/an dont 50% provenant des forêts de PACA et Languedoc-Roussillon et 50% issus de recyclage de bois) et de 10 % de charbons cendreux de récupération (127 000 T/an).